Camille Dundas : pourquoi la mise en récit compte autant que le capital pour les entrepreneurs noirs
Camille Dundas, cofondatrice et rédactrice en chef de ByBlacks.com
Camille Dundas, cofondatrice et rédactrice en chef de ByBlacks.com, n’avait jamais envisagé de devenir entrepreneure. « Depuis l’âge de six ans, je voulais seulement être écrivaine ou journaliste », se souvient-elle. Cette ambition l’a menée dans les plus grandes salles de rédaction du Canada — CBC, CTV et CityTV. Mais lorsque la récession de 2008 a provoqué des mises à pied massives, Mme Dundas a transformé une crise en occasion. Elle avait toujours été une observatrice, et ce qu’elle voyait l’a convaincue qu’il existait un manque qu’elle pouvait combler.
« Dans la salle de rédaction, j’observais », explique-t-elle. « Et ce que j’ai observé, c’est que de nombreuses organisations communautaires ou locales soumettaient des histoires — et que les médias les ignoraient. » Ces organisations ne manquaient pas d’histoires convaincantes; elles manquaient de savoir-faire pour les faire entendre. Mme Dundas a donc lancé une entreprise de consultation en médias pour aider ces organisations à préparer de meilleurs argumentaires. Ce fut son premier pas vers l’entrepreneuriat et un tournant décisif dans son propre parcours.
Cette première expérience a non seulement mis en évidence le pouvoir du récit pour influencer la perception du public, mais elle a aussi révélé son effet sur l’identité personnelle. « Si vous ne prenez pas le temps de réfléchir à votre propre histoire — pourquoi vous êtes comme vous êtes — votre entreprise reflétera tous vos traumatismes, que ce soit dans la façon dont vous négociez ou dans la manière dont vous traitez vos employées, employés et clientes, clients », dit-elle. À son avis, l’estime de soi et la guérison sont indissociables de la réussite en affaires.
Son instinct de résoudre les problèmes par le récit a façonné ce qui allait devenir son projet le plus marquant. En 2013, Mme Dundas et son mari, Roger Dundas, ont cofondé ByBlacks.com. D’abord conçu comme un répertoire d’entreprises noires, le projet a rapidement évolué. « Un ami nous a dit : il faut donner aux gens une raison de revenir sur le site Web. Pourquoi ne pas raconter l’histoire des entreprises? », se rappelle Mme Dundas. Naturellement, en tant que journaliste, il allait de soi qu’elle assume le rôle de rédactrice en chef. Dès lors, ByBlacks.com est passé d’un simple répertoire d’entreprises à un magazine en ligne primé qui a permis à de nombreuses entreprises noires d’obtenir pour la première fois une couverture médiatique professionnelle.
Il a fallu plusieurs années avant que la plateforme devienne rentable, entièrement financée à partir d’économies personnelles. « Nous avons donc fait beaucoup du travail nous-mêmes, raconte-t-elle. Même mon mari écrivait des articles au début, alors qu’il n’est pas rédacteur. Mais nous savions que c’était l’engagement que nous prenions. Nous avions des amis, des professionnels des affaires, qui soumettaient des articles et que nous n’avions pas les moyens de payer, mais nous avons toujours travaillé avec la vision de pouvoir rémunérer tout le monde un jour, et nous y sommes parvenus. »
Mme Dundas ne cache pas les réalités de la création d’entreprise : les réseaux comptent, mais la famille et les amis ne remplacent pas un réseau d’affaires. Elle souligne que l’accès aux réseaux et à l’information peut être tout aussi important que l’accès au capital. Pour elle, les occasions passent par les relations, et bâtir ces relations exige un effort délibéré. ByBlacks.com a d’ailleurs profité du vaste réseau en relations publiques et en divertissement de son mari, qui a contribué à faire connaître la plateforme à ses débuts. Mais elle reconnaît que toutes et tous les entrepreneurs noirs ne disposent pas d’un réseau aussi étendu au départ.
C’est pour cette raison que la Carte de l’écosystème de l’entrepreneuriat des communautés noires (CEEN) est en cours de développement afin de combler ce manque en matière de relations, d’information et de ressources. En tant que carte interactive de réseau numérique, la BEEM aide les entrepreneures et entrepreneurs noirs de partout au Canada à découvrir des programmes, des mentors et des occasions qui leur auraient autrement échappé.
Le mentorat, ajoute Mme Dundas, est également essentiel. Elle souligne que la réussite en affaires repose souvent sur la compréhension de codes implicites ou d’un langage tacite de règles et d’attentes qui n’est pas immédiatement accessible aux nouveaux venus. Elle-même n’a pas oublié l’impact du soutien qu’elle a reçu. Sa carrière a été propulsée par des mentores noires qui lui ont ouvert des portes dans les salles de rédaction et qui l’ont ensuite encouragée à faire la transition vers l’entrepreneuriat. « C’est inestimable. Et c’est probablement la raison pour laquelle il est si important pour moi de continuer à être mentore à mon tour, parce que je sais à quel point cela peut faire une différence. »
Aujourd’hui, elle offre le même appui à la relève journalistique et entrepreneuriale noire. Depuis son lancement, ByBlacks.com a employé et publié les travaux de plus de 100 jeunes auteurs et autrices noirs. « J’en suis vraiment fière, réfléchit Mme Dundas. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils publiaient leur travail. Puis je les vois ensuite au Toronto Star, au Globe and Mail, ou à la télévision, accomplir des choses extraordinaires. »