Association Des Agricultures Noirs du Canada : Cultiver ce que le Canada mangera demain
Lorsque des légumes frais cultivés par des agriculteurs noirs au Canada sont mis en vente, ils ne restent généralement pas longtemps sur les étals.
« Si j’annonce que j’ai des légumes aujourd’hui, ils seront tous partis en moins de deux minutes », affirme Toyin Kayo Ajayi, fondateur de l’Association Des agricultures noirs du Canada.
Pour M. Ajayi, cette rapidité ne relève ni de la nouveauté ni du battage médiatique. C’est la preuve qu’il existe un marché.
« Il y a déjà plus de dix millions de dollars dans le marché au sein de la communauté noire », soutient-il. « Parce que nous consommons beaucoup de légumes. »
Cette demande existe peu importe la région, la saison ou les pressions économiques. Ce qui a manqué jusqu’à maintenant, c’est une production locale stable et soutenue. Le travail de M. Ajayi vise à combler cette lacune en traitant les aliments du quotidien qui ont une signification culturelle non pas comme des produits de niche, mais comme des éléments essentiels du système alimentaire soutenant la santé, la participation économique et un approvisionnement plus fiable.
À ses yeux, la nourriture n’est pas simplement un moyen de subsistance. « La nourriture, c’est ce qu’il y a de plus essentiel », dit-il. « Si vous voulez changer une culture, il suffit d’en changer la nourriture. » Son raisonnement est pragmatique. L’accès à la nourriture influence la santé, les dépenses des ménages et la stabilité à long terme. Sur le plan économique, cela détermine aussi si la demande peut être comblée localement ou si elle doit rester tributaire des importations.
« Notre nourriture, c’est notre culture », ajoute-t-il. « Il n’y a pas d’identité, pas de culture sans nourriture. » Cette identité se traduit par des habitudes d’achat prévisibles et des marchés durables. Ce sont des aliments que les gens achètent régulièrement. Pour un système alimentaire axé sur la fiabilité et la résilience, cette distinction est importante.
M. Ajayi consacre depuis plus de vingt ans ses efforts à tester ce qu’il est possible de cultiver au Canada, à condition de considérer le sol, le climat et la planification à long terme comme des outils, et non comme des obstacles. « Aujourd’hui, je peux affirmer avec assurance que j’ai cultivé du manioc. J’ai cultivé de l’igname. J’ai cultivé toutes sortes de choses qu’on croyait impossibles », affirme-t-il.
La réaction qu’il suscite est souvent teintée d’incrédulité. « Les scientifiques ici me demandent : “Tu cultives quoi?” Oui, je l’ai fait. »
L’expérience de M. Ajayi repose sur des années de travail de terrain. « Cinq mois suffisent pour cultiver de nombreux légumes tropicaux au Canada, si l’on dispose d’un bon sol. » Le succès ne dépend pas uniquement du climat, mais de la préparation. La composition du sol, les systèmes de serres et la planification de la production déterminent si les cultures peuvent aller au-delà de l’expérimentation.
C’est là que le « statut d’exploitation agricole » prend toute son importance. Il détermine si une ferme est reconnue comme une entreprise à part entière, avec accès à des allégements fiscaux, à de l’assurance et à des programmes agricoles. Sans ce statut, une ferme peut être perçue davantage comme un passe-temps ou un simple jardin.
M. Ajayi consacre une grande partie de ses efforts à aider les agriculteurs noirs à obtenir ce statut, car cela modifie les paramètres économiques. Une fois reconnus, les agriculteurs peuvent déclarer leurs dépenses courantes comme des frais d’entreprise, investir dans les infrastructures de base et accéder à des programmes agricoles qui leur étaient autrement inaccessibles. Cela facilite aussi leur reconnaissance dans un secteur où l’argent, la terre et les relations dépendent souvent d’une reconnaissance formelle.
« Pour que l’agriculture fonctionne comme une entreprise, elle doit être reconnue comme telle », affirme M. Ajayi. Cette reconnaissance permet aux producteurs de passer de ventes saisonnières à une production constante, et de marchés informels à des chaînes d’approvisionnement structurées.
Les raisons de procéder ainsi sont simples. « La majorité de ce que nous mangeons ici provient d’ailleurs », explique-t-il. « Et, une fois que ça arrive ici, ce n’est même plus frais. » La dépendance aux importations fait grimper les prix, réduit la fraîcheur et fragilise les chaînes d’approvisionnement. Elle exporte aussi une valeur économique qui pourrait être conservée au pays.
« Pourquoi importons-nous des aliments que nous pouvons cultiver ici? », demande-t-il.
En cultivant localement des aliments culturellement significatifs, les agriculteurs noirs réduisent le recours aux importations tout en répondant à une demande déjà existante. Les aliments parcourent de plus courtes distances, les coûts de transport sont moindres et la production peut s’adapter plus rapidement aux préférences des consommateurs. M. Ajayi entrevoit également des débouchés à l’extérieur du pays. « Nous pouvons produire de la nourriture ici et l’exporter vers d’autres pays », dit-il, « des aliments que les gens aiment vraiment manger. »
L’Association canadienne des agriculteurs noirs repose sur cette approche. Près de 90 % de ses membres en sont à leur première expérience agricole. Beaucoup sont des femmes. La majorité d’entre eux arrivent dans le secteur agricole sans passer par les voies traditionnelles. L’objectif n’est pas une croissance rapide, mais la construction de compétences, de systèmes et d’opérations durables.
« Nous ne voulons pas que les gens se contentent de survivre », affirme M. Ajayi. « Nous voulons qu’ils réussissent et s’épanouissent. »
Cela signifie : mettre en place les bases avant de contracter des dettes, favoriser les partenariats plutôt que les financements ponctuels, et sécuriser l’accès à la terre avant de viser des gains à court terme. « Nous ne faisons pas que cultiver de la nourriture », conclut-il. « Nous créons une économie. »
L’impact de ce travail dépasse largement les frontières d’une seule communauté. Le coût des aliments augmente, les conditions climatiques sont de moins en moins prévisibles et les chaînes d’approvisionnement sont mises à rude épreuve. En parallèle, des millions de personnes au Canada dépendent encore d’aliments principalement importés.
Le modèle proposé par M. Ajayi réunit ces réalités. En produisant davantage d’aliments localement et en élargissant la participation au secteur agricole, les agriculteurs noirs contribuent à renforcer l’approvisionnement alimentaire, à diversifier l’économie et à soutenir la prochaine génération d’agriculteurs.
« Vous ne cultiverez pas ma nourriture à ma place », dit-il. « Nous la cultiverons nous-mêmes et créerons une économie durable qui profitera à l’ensemble des Canadiens. »