Les femmes noires continuent de faire face à des défis bien connus alors qu’elles laissent leur marque sur l’économie canadienne
Les femmes noires continuent de composer avec des défis connus alors qu’elles s’imposent dans l’économie canadienne
Ce que Delali Adiamah fait dans le secteur culinaire de Vancouver n’a rien de comparable à ce que la ville a connu auparavant. Elle brise la réputation antisociale de la ville et rassemble des inconnus autour de la cuisine africaine.
Fondatrice de Dehl’s Gourmet Foods, elle caressait depuis un certain temps l’idée de créer une nouvelle forme d’expérience culinaire, inspirée de ce qu’elle observait à Londres et à New York.
« Des personnes noires qui profitent simplement d’un bel espace. Nous le méritons aussi », affirme Adiamah.
Selon une étude de Technomic, bien que les consommateurs noirs représentent une faible proportion de la population canadienne, leur niveau d’engagement dans l’industrie canadienne des services alimentaires dépasse la moyenne nationale. En effet, 64 % des clients noirs déclarent fréquenter les chaînes nationales ou les restaurants locaux une fois par semaine ou plus, comparativement à 56 % pour la moyenne nationale.
Avec un tel pouvoir d’achat, il n’est pas étonnant qu’Adiamah et d’autres professionnelles du secteur souhaitent créer des expériences où les clients noirs se sentent vus et valorisés. Elle est sur le point d’ouvrir un nouvel espace à New Westminster, en périphérie de Vancouver, où elle prévoit organiser des événements et des expériences culinaires sur mesure, comme des pop-ups afro-gastronomiques.
Selon Adiamah, cet espace ne servira pas uniquement à ses propres activités commerciales, mais accueillera également de nouveaux chefs qui ont besoin d’un lieu pour mettre en valeur leur talent.
« Le monde vous attendra toujours tant qu’il sait quelle valeur vous apportez à la table », dit-elle.
Avec un taux de participation au marché du travail de 66,1 %, soit cinq points de pourcentage de plus que leurs homologues non racialisées, les contributions des femmes noires à l’économie canadienne sont impossibles à ignorer. Dans les années 1800, à Toronto, Mme M.O. Augusta est reconnue comme étant la seule femme noire à posséder sa propre boutique à cette époque. Son commerce de produits importés et sa boutique de confection étaient les seuls établissements du genre détenus et exploités par une femme noire.
Aujourd’hui, qu’il s’agisse de faire avancer la diversité dans l’industrie automobile, de révolutionner le secteur des soins de santé ou de percer dans de nouveaux domaines, les femmes noires continuent de laisser leur empreinte sur le paysage entrepreneurial canadien.
Les investissements du gouvernement du Canada ne feront qu’amplifier et accélérer le travail des entrepreneures noires. L’Étude qualitative basée sur des personas du Carrefour du savoir pour l’entrepreneuriat des communautés noires (CSEN) vise, entre autres, à approfondir la compréhension des expériences des femmes noires entrepreneures et des entrepreneurs noirs en général. Comme le souligne le Dr Jared Wesley, chercheur principal de l’étude et doyen associé aux études supérieures à l’Université de l’Alberta, les entrepreneurs noirs au Canada font face à deux grands défis : l’invisibilité et les stéréotypes. Aller au-delà des données statistiques et créer des personas en politique publique s’avère une approche efficace pour dresser un portrait plus nuancé.
Ces personas pourraient permettre de mieux illustrer le nombre important de femmes noires immigrantes qui créent des entreprises au Canada. Marthe Moukanda connaît bien les défis auxquels font face les femmes africaines qui immigrent dans ce pays avec l’espoir d’y lancer une entreprise et d’y bâtir leur vie. Fondatrice de l’Association Femmes Africaines Francophones (AFAF), elle reçoit des témoignages de femmes noires francophones à travers le Canada concernant les obstacles qu’elles rencontrent pour démarrer un projet – les principaux défis étant la langue et la méconnaissance du fonctionnement du système canadien.
Malgré cela, Moukanda affirme que la plupart des femmes qu’elle rencontre ne se laissent pas décourager.
« L’état d’esprit d’une femme africaine, c’est l’entrepreneuriat. Peu importe les circonstances, elles sont créatives », dit-elle. « Elles vont coiffer, cuisiner – elles font preuve d’une grande résilience. Elles n’ont pas toujours les outils, mais elles ont le cœur. »
Au Canada, 53,5 % des femmes noires entrepreneures sont immigrantes et la majorité d’entre elles sont bien établies. Parmi les propriétaires d’entreprises noires, 47 % sont établies depuis plus de cinq ans, comparativement à un peu plus de 6 % pour celles arrivées au Canada il y a moins de cinq ans. Cela ne surprend pas Moukanda. Bien que les femmes noires arrivent au Canada avec de grands rêves, Moukanda affirme qu’il faut du temps pour les concrétiser.
« Il faut beaucoup de courage et de résilience pour s’adapter à un nouvel environnement », dit-elle. « Parfois, elles ont les compétences et l’expérience, mais elles ne savent pas comment naviguer dans la culture. » Combinée à une barrière linguistique, cette situation peut anéantir leurs rêves. À cela s’ajoute l’impression que ce qu’elles faisaient dans leur pays d’origine ne fonctionnera pas ici.
« Elles finissent donc par sacrifier leurs rêves pour un salaire stable. Cela devient leur zone de confort. Il faut beaucoup de cran pour quitter cet emploi stable et se lancer en affaires. »
Melat Hadera peut s’identifier à cette réalité. Elle est arrivée au Canada en 2017, en provenance du Tigré (Éthiopie), pour étudier la cybersécurité à l’Université Capilano, en Colombie-Britannique. Pendant son séjour, elle est tombée amoureuse de l’industrie de la beauté et a décidé de miser sur son rêve : créer une gamme de cosmétiques véganes, propres et abordables. Son virage porte ses fruits : ses produits connaissent un franc succès dans les salons professionnels et plus de 40 nouveaux produits doivent être lancés cette année.
S’appuyant sur les pionnières comme Beverly Mascoll, Hadera affirme que les femmes noires utilisent leur voix et leur pouvoir d’achat pour changer l’industrie. « Elles influencent le marché », dit-elle. « Leur demande d’inclusivité pousse de nombreuses marques à élargir leurs gammes de produits et de teintes – ce que je trouve incroyable. »
Hadera affirme qu’au cours des cinq dernières années, presque toutes les marques ont revu leurs offres pour être plus inclusives – un changement qu’elle attribue directement à la pression exercée par les femmes noires. Sa propre marque, Blaze Beauty, a été lancée pour combler un manque d’accessibilité. Selon elle, les produits véganes et propres étaient inaccessibles pour plusieurs consommatrices. « Ce genre de produits est trop cher. Ça ne devrait pas coûter aussi cher d’avoir des cosmétiques propres. »
Hadera n’évite pas les discussions sur les obstacles rencontrés par les femmes noires et les femmes entrepreneures en général. « L’accès limité aux ressources et au financement, ainsi que le manque de représentation, compliquent la tâche des entrepreneures noires. Quand on débute en tant que jeune femme noire, les gens ne croient pas vraiment en nous », dit-elle.
Malgré tout, Moukanda reste optimiste : l’apport de ressources fédérales et provinciales pour soutenir les femmes noires a un impact réel. « L’économie canadienne s’améliore et s’enrichit grâce au travail que nous accomplissons ici – il existe réellement un appui pour y parvenir », affirme-t-elle.
De son côté, Adiamah, qui se trouve au croisement bien connu de la maternité et de l’entrepreneuriat, encourage les autres à faire preuve de bienveillance envers elles-mêmes.
« Soyez indulgentes avec vous-mêmes », dit-elle. « Je me souviens qu’au début, lorsque mon fils a commencé à marcher, nous déménagions, et il passait aux aliments solides. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir des palpitations, car j’avais l’impression que tout devait être fait – que tout devait être parfait, le linge plié, la maison propre, la vaisselle faite. Mais je dirais : soyez indulgentes avec vous-mêmes. La vaisselle peut attendre; le linge peut attendre. »